Au tour des buffles donc.
Le buffle est une composante essentielle de la société, le lien entre le vivant et la mort, un monnaie parallèle puisque le nombre de sacrifiés indique le statut de la famille, et que chaque bête coûte une fortune eu égard à ce que gagne un Toraja.
Plusieurs jeunes hommes vêtus de noir amènent chacun un énorme buffle au milieu de l’esplanade, autour d’un gros pieu de bois planté dans le sol. Les « gradins » se remplissent, jeunes et moins jeunes, et les pleurs des femmes de la famille montent un peu en intensité. On repousse aussi les téméraires dans les chapiteaux.
Un des hommes attache l’une des pattes d’un des « kerbau » -buffle- au pieu central, un second soulève calmement et doucement le mufle de l’animal en tirant sur l’anneau passé dans le museau. Il a prépare son kriss, un seul coup a la gorge, la bête a un sursaut, un autre et s’écroule sur le flanc.
Il y a eu débat avant de coller cette image…
Dans la foule, pas de mouvements ni de cris, on nous dira plus tard : ce sont des professionnels. D’autres sont plus circonspects…
Quelques minutes et un second animal est attaché au pieu, un autre exécuteur officie, il lui faudra donner un coup de grâce a la victime cette fois.
Un moment assez étrange…
Le suivant est très calme et regarde le buffle longuement, l’a caressé avant d’effectuer un geste lent et précis, que l’on pourrait qualifier de respectueux. Là, quelques murmures derrière moi, sans doute d’approbation du geste du pro, qui semblait avoir un rôle particulier dans l’équipe. Après le sacrifice, l’exécuteur essuie son kriss sur le flanc de sa victime a terre.
Tout ceci semble rodé, il n’y a pas d’excitation, c’est un rituel qui s’effectue, dans le léger fond sonore fourni par les pleurs des femmes, les quelques rires lorsqu’un animal a un sursaut un peu violent, sinon se lance dans quelques bonds, et les commentaires des spectateurs.
Un cameraman filme le tout, comme dans les mariages chez nous : il faut garder trace de l’évènement.
Il n’est évidemment pas possible de déplacer les carcasses des bêtes (une tonne plus ou moins..), ce qui fait que les suivants s’écroulent parfois sur les corps des autres. Il y en a maintenant 7 dans l’arène, sur ce plateau entoure de cabanes de bambou et de collines verdoyantes. Tableau sanglant, mais qui a quelque chose d’allégorique : le solennel , le rituel priment sur la brutalité.
D’ailleurs, presque aussitôt, plusieurs hommes commencent à préparer les bêtes. La peau sera revendue 100€ environ, elle l’est déjà sans doute : les chefs de villages répartiront les morceaux de viande selon la caste, l’importance ou la proximité des invites avec la famille.
Dans cette famille de moyenne caste, il y a 7 enfants, on a sacrifié 7 buffles et un nombre indéterminé de porcs ce jour-là, et quelques autres les jours précédents. Piter evaluait le cout de ces ceremonies à plusieurs dizaines de milliers deuros. La société Toraja comporte 3 castes, depuis la suppression de l’esclavage en 1945 : haute, moyenne, et basse (serfs ou métayers).
Chaque famille dispose d’un espace approprié pour les cérémonies, Piter nous dira : « l’objectif de la vie d’un Toraja, c’est la mort. La fonction sociale de cette cérémonie, c’est de nourrir tout le monde. Tout notre argent va aux animaux, les buffles bien sûr, les porcs, et aussi les rizières ».